So schnell, zu früh
in memoriam Dominique Bagouet (1993) pour soprano, ensemble instrumental et dispositif électronique en temps réel sur le texte de la Cantate BWV 26 Ach wie flüchtig, ach wie nichtig de J.-S. Bach

(2-1-2-0/1-1-1-0/2 percussionnistes-piano & celesta- synthétiseur/ 2-0-2-2-0 / station d’informatique musicale, échantilloneur, spatialisation et amplification)
Commande de l’IRCAM
Création par Sh. Cooper, l’Ensemble InterContemporain, technique IRCAM, dir. D.Robertson à l’IRCAM/Centre Georges Pompidou, Paris décembre 1993
Durée : 18 min.
Editions Jobert (Paris) – anciennement éditions Henry Lemoine
in CD monographique IRCAM/Adès-MFA; Sh. Cooper, Ensemble InterContemporain, dir. D. Robertson – Technique IRCAM

Cette partition enchaîne huit sections d’un seul tenant qui se divisent ainsi :

I – Introduction (rapide, véhément/rapide, un peu plus lent)
II – Ach wie flüchtig I (flottant-flexible)
III – Interlude I (lent, flexible puis senza tempo)
IV – So schnell (soutenu, très mobile – un peu plus lent, très soutenu)
V – Interlude II (sombre, lent – rapide, flamboyant – cassant, véhément)
VI – Wie leichtlich entstehen verzehrende Gluten (allant – modéré)
VII – Ach wie flüchtig II (calme, dénudé – vif, décidé)
VIII – Conclusion (très lent, mystérieux puis sensa tempo)

Les parties en allemand correspondent à celles où la chanteuse intervient, les autres demeurent strictement instrumentales. D’une certaine façon, So schnell, zu früh est une extension de Devenir pour clarinette et électronique. J’ai bénéficié d’une expérience acquise avec Leslie Stuck, assistant musical à l’Ircam, lors de la composition de cette partition pour développer et étendre les enjeux que je me suis fixé pour les relations entre les sons électroniques à ceux de la lutherie traditionnelle. Complémentarité ou diffraction, homogénéité ou dérivés sont les bases de ma recherche. Je ne vise aucune confrontation, mais bien une polyphonie de structures et de timbres, que l’électronique et l’acoustique déclinent chacun selon ses propres critères et qualités intrinsèques. Chacun à son tour domine, s’enrichit ou s’oppose. La spatialisation par haut-parleurs disposés autour du public révèle alors les différentes couches tout en reliant les évènements. L’écriture vocale reste volontairement dans le domaine d’un chant qui entoure le texte (mélismes de So schnell  par exemple) ou l’énonce plus clairement (monosyllabisme de Ach wie flüchtig 1 et 2). Seuls les deux derniers vers sont parlés, avant que l’œuvre ne s’achève dans des résonances glacées.

La forme globale est un parcours linéaire, de la déflagration initiale à la suspension finale, où quelques éléments de figuration réapparaissent, transgressés, comme une réminiscence brouillée. On pourra remarquer que les sections instrumentales utilisent des tempi de plus en plus lents alors que les sections où la voix intervient restent dans des tempi quasi similaires. Pour cette partition, j’ai privilégié l’instant et l’articulation à un schéma trop préétabli qui ne me semblait pas correspondre à l’envie d’une variation évolutive de tous les paramètres d’écriture au fil du déroulement dans le temps. La recherche d’un devenir infini est certainement un aspect de mon travail actuel. En exergue à la partition figure la dédicace à Dominique Bagouet où je cite le passage dans lequel Michel de Montaigne se remémore Etienne de la Boétie : « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes l’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle elles se mêlent et se confondent l’une en l’autre, d’un mélange universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant: parce que c’était lui, parce que c’était moi. » (Essais I, XXVIII).

Je remercie chaleureusement Leslie Stuck pour sa patiente et précieuse collaboration.

Frédéric Durieux